Les galettes selon Roland Greuzat

L’art de raconter une recette...

Cette recette est extraite du livre : “Petites histoires savoureuses autour de la cuisine familiale en Bretagne”.

Commençons par l’essentiel à savoir la farine. On trouve maintenant de la farine de blé noir un peu partout, même en grande surface. Rien à dire, la qualité est en général au rendez-vous mais rien ne vaudra pour autant une bonne farine artisanale. Rappelons-nous toujours aussi que la galette est un plat de pauvres, alors pour confectionner la pâte pas la peine de compliquer les choses, pas de surenchères comme je l’ai vu faire parfois. Deux ou trois oeufs suffiront pour cinq cents grammes de farine, de l’eau plutôt que du lait, il n’y a que le beurre qu’il ne faudra pas pleurer au moment de la cuisson. Le lait alourdit la galette, elle est plus difficile à retourner et risque de se casser. Il faut en effet garder à l’esprit que la farine de blé noir est, à la différence de la farine de froment, très fine et très légère. Elle s’amalgame donc moins, d’où la fragilité de la galette et la nécessité d’éviter de faire des machins plâtreux et épais. Faire des galettes de blé noir c’est oeuvrer dans la finesse, dans la subtilité! Admirez au passage (et même rendez hommage) la noblesse de ces paysans qui ont su créer à partir de leurs pauvres ressources une chose aussi subtile, aussi simple et aussi noble ! La façon de faire que je vais vous décrire maintenant est celle que je pratique depuis des années, après avoir longtemps observé Marie-Noëlle mais aussi Françoise, sa fille aînée qui m’en ont donné les bases. Donc avec votre farine et vos oeufs dans le fond d’une terrine, vous salez (plus que la pincée réglementaire) et vous commencez à mélanger le tout. Là deux écoles s’affrontent, ceux qui mettent la main à la pâte et ceux qui ne la mettent point. Mettre la main à la pâte c’est retrousser sa chemise et plonger au fond de la terrine. On travaille alors le mélange à la main, on ajoute un verre de lait puis de l’eau. Quand vous sentez que le mélange commence à devenir souple, vous le frappez vigoureusement sur les bords intérieurs de la terrine (je précise pour les distraits, en fait je ne doute pas un seul instant que vous puissiez avoir l’idée saugrenue de le faire sur l’extérieur). Là il faut de l’huile de coude, l’excellence ne s’obtient pas par un simple claquement de doigts, il faut taper sa pâte pendant au moins trois à quatre minutes sinon plus. L’inconvénient de la méthode “à mains nues” c’est que la farine de blé noir a tendance à brûler, à ronger les mains. Donc pour les douillets il existe une autre méthode, le principe en est le même sauf qu’il faut vous armer d’une large cuiller en bois, il faudra alors “taper” plus longtemps la pâte. A partir de cet instant vous pouvez fonctionner. Si vous n’avez pas de pillig traditionnelle vous pouvez éventuellement vous rabattre sur les crêpières vendues dans le commerce, mais attention, ce n’est pas parce qu’elles ont un revêtement antiadhésif qu’il ne faut pas mettre de beurre! Malgré tout si vous avez la possibilité de faire vos emplettes chez un vendeur de matériel professionnel n’hésitez pas, vous échapperez ainsi à la tyrannie de l’omniprésent Téflon. Autre information d’importance, ne vous étonnez pas de vos piètres résultats avec une pillig neuve: une pillig ça se rode! Ce n’est pas là une façon quelconque de dégager ma responsabilité au cas bien improbable où vous rateriez vos galettes, mais l’expression pure et simple d’une vérité fondamentale. Pendant que je raconte tout cela votre pillig est en train de parvenir à la bonne température. C’est le moment d’amener votre pâte à la bonne consistance. Rajoutez alors de l’eau jusqu’à l’obtention d’icelle. Cette consistance doit être assez liquide si vous voulez obtenir des galettes fines, avec de la dentelle sur les bords. Une belle noix de beurre sur la plaque chaude, ça grésille sans brunir: la température idéale! Veillez à bien la maintenir pour la suite des opérations ! La louche en main vous faites maintenant vivement couler la pâte sur la pillig. Soit vous l’étalez au rosel (petit râteau plein en bois) il faut pour cela une certaine dextérité, c’est un truc inné, on l’a ou on ne l’a pas, soit si votre pillig est munie d’un manche, vous tournez le tout pour que la pâte s’étale harmonieusement. Une fois le côté pile cuit, on soulève la galette au moyen d’une spatule à la hauteur des deux tiers, on soulève, on décolle et on retourne. La rapidité du geste est gage de réussite. Resoulever alors légèrement la galette par son milieu au moyen de la spatule pour ajouter dessous une belle noix de beurre. Cuisez à votre convenance, certains aiment la galette de blé noir peu cuite, d’autres au contraire aiment qu’elle craque, c’est bien sûr affaire de goût. Ça, c’est la base, les puristes s’en contenteront. Pour eux il n’existe rien d’autre que la galette " blé noir beurre " le reste n’étant qu’excentricités plus ou moins acceptables... Seulement voilà, ce sont justement ces excentricités qui, hors de nos frontières, ont fait la renommée de la galette de blé noir... Je m’attarderai donc sur quelques?unes des plus courantes sans omettre quelques originalités qui n’ont de mérite que le goût à défaut d’authenticité, mais justement le plaisir des saveurs n’est?il pas la base de celui des sens!

Les garnitures traditionnelles des galettes de blé noir sont le jambon, le fromage et l’oeuf. Toutes les variantes sont possibles, jambon-fromage, jambon-ceuf, oeuf-fromage et bien sûr la complète. L’oeuf peut être soit brouillé soit miroir. Dans tous les cas et pour toutes les garnitures, cette dernière se met une fois la galette retournée. Quand la garniture est chaude, on replie les deux côtés de la galette de façon à faire comme une sorte de portefeuille, on la fait ensuite glisser dans l’assiette. Il faut savoir toutefois que la présence de l’oeuf, sous quelque forme que ce soit, ramollira toujours votre galette. On peut faire aussi des galettes à l’andouille, à la saucisse fumée et au lard fumé. Certains ont inventé la " galette de pied?noir " en y introduisant la merguez... Je ne ferai pas de commentaires si ce n’est que l’espèce de jus rouge qui sue toujours de cette spécialité imprègne la galette et en altère la qualité... de plus la bonne odeur de galette et de beurre s’accommode mal de la merguez. Parfaite au barbecue, elle ne saurait que s’égarer sur une pillig... Par contre, au risque de choquer, je m’étendrai sur un mariage qui pourrait sembler incongru et qui ne l’est pas tant que cela. La galette de blé noir se marie en effet de façon fort harmonieuse avec une spécialité insulaire. Pas de l’île d’Ouessant, pas plus de Sein que de Molène, de Belle Ile ou de Groix, non d’une île méditerranéenne à savoir la Corse. Je veux parler du figatelli la saucisse de foie fumée que l’on fait en l’île dite de Beauté. Eh bien la galette au figatelli est une chose divine, admirable, un mariage parfaitement réussi de saveurs à la fois fortes et subtiles, exceptionnel aussi sur le plan de la consistance. Pour réussir c’est simple, avant de placer le figatelle au coeur de la galette avec quelques brins de romarin, il suffit d’en couper un morceau d’environ huit centimètres non pas en rondelles, mais en deux tronçons dans le sens de la longueur et les faire cuire trois minutes dans une poêle côté viande. C’est tout, c’est simple et c’est divin. Ceci explique peut-être pourquoi les Bretons sont toujours reçus à bras ouverts aux journées régionalistes de Corte...

Mais après nous être égarés aussi loin, revenons?en à des garnitures plus traditionnelles, les garnitures aux fruits de mer par exemple. Cela se fera régulièrement sur la base d’un fond de sauce constitué d’un roux brun, d’échalotes, d’un peu d’eau de cuisson du fruit de mer considéré. On peut donc utiliser des moules, c’est en fait le plus courant, mais aussi des langoustines, des crevettes et même des coquilles St Jacques si l’on veut donner dans la préciosité (sans pour autant tomber dans un maniérisme vulgaire).

On trouve aussi dans certaines crêperies des variantes qualifiées de forestières, bien entendu là on va y trouver des champignons. Comme on le voit la galette de blé noir se prête volontiers à une infinité de déclinaisons, il ne vous reste qu’à vous sentir une âme de créateur. Cette recette est extraite du livre : “Petites histoires savoureuses autour de la cuisine familiale en Bretagne”.


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